La pandémie de COVID-19 a révélé bien des failles de nos sociétés, et en particulier de notre modèle économique. La crise climatique, le vieillissement de la population, l’accroissement des inégalités accentuent depuis des années la pression pour changer de perspective. Heureusement, les idées ne manquent pas, les initiatives non plus et, sur ce front, le Québec a peu à envier aux autres. Aujourd’hui : l’économie sociale, deuxième texte d’un tour d’horizon en six temps.
Le 19 août 2019. Les employés des six quotidiens du Groupe Capitales Médias (GCM) sont sur les dents. GCM a annoncé son intention de se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Un sprint s’engage pour sauver ces fleurons de l’information régionale. Il aboutira à la fin de 2019 avec le décollage de coopératives de solidarité formées des travailleurs de chaque journal. Une solution que le gouvernement du Québec, principal créancier, a favorisée.
Ce choix a pu en surprendre quelques-uns, mais, depuis 2015, le gouvernement québécois a fait de la reprise collective d’entreprises, surtout quand vient le temps de maintenir en activité des PME en région, un objectif de son plan d’action en économie sociale. Il y a là aussi une continuité historique. Coopérer pour affronter des difficultés ne date pas d’hier. Les coopératives agricoles, apparues dès la fin du XIXe siècle, en sont la preuve. Tout comme la création des caisses populaires, la première ayant vu le jour en 1900.
Nombreuses initiatives
Les initiatives se sont multipliées et diversifiées au fil des décennies : coopératives d’habitation, comptoirs alimentaires, garderies, services de soins à domicile à tarifs variables, centres de formation, centres de tri voués à l’insertion à l’emploi, centres culturels… La liste ne cesse de s’allonger.
Organismes à but non lucratif (OBNL), coopératives ou mutuelles ont en commun d’avoir « pour vocation de servir autre chose que la seule maximisation des profits », résume Béatrice Alain, directrice générale du Chantier sur l’économie sociale. Leur but est de « répondre à un besoin ou à une aspiration » de leurs membres ou de leur communauté. Et quand profits il y a, ils sont réinvestis généralement dans l’amélioration des services, la réduction des prix, la pérennité de l’organisation. La majorité de ces entreprises sont des PME, mais il y a d’énormes joueurs, comme Desjardins ou Agropur.
Mme Alain reconnaît que ces grosses coopératives ont fait l’objet de certaines critiques ces dernières années, mais comme les autres entreprises d’économie sociale, elles ont une gouvernance démocratique et sont « des véhicules pour une plus grande participation citoyenne aux décisions économiques ». Contrairement aux clients d’une banque, leurs membres ont encore une voix égale, peu importe leurs moyens financiers. « On n’est pas dans une entreprise au service des actionnaires, où le plus riche pèse le plus lourd. […] On a un pouvoir, qu’on peut utiliser ou non. »
Une loi
En 2013, on assiste à une première. Le gouvernement québécois adopte une Loi sur l’économie sociale qui y est définie comme « l’ensemble des activités économiques à finalité sociale réalisées dans le cadre des entreprises dont les activités consistent notamment en la vente ou l’échange de biens ou de services ». Ces entreprises doivent répondre aux besoins des membres ou de la collectivité, être démocratiques et aspirer à la « viabilité économique ».
Cette loi est l’aboutissement d’un processus entamé en 1996 avec la tenue du Sommet sur l’économie et l’emploi, organisé par le gouvernement du Québec et où cette constellation d’organisations était représentée. Dans la foulée de ce rendez-vous, des initiatives structurantes voient le jour.
À l’initiative du milieu, le Chantier de l’économie sociale devient permanent, avec le mandat de poursuivre la concertation, de développer de nouveaux outils et d’appuyer le développement du secteur. Ses efforts s’ajouteront à ceux du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, qui existe depuis 80 ans. Le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) est une autre retombée du sommet. Sa mission unique : offrir des prêts aux entreprises d’économie sociale qui offrent « des biens et services financièrement viables et socialement rentables ». Dix ans plus tard, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale s’ajoute pour soutenir des projets plus coûteux.
Selon l’Institut de la statistique du Québec, près de 11 200 entreprises d’économie sociale étaient actives au Québec en 2016, dont 350 coopératives financières et mutuelles, 2400 coopératives non financières et 8400 OBNL. Les revenus générés totalisaient 47,8 milliards (en incluant les filiales) et le nombre de salariés, 220 000.
Selon le plan d’action gouvernementale en économie sociale 2020-2025, dévoilé en novembre dernier, les entreprises d’économie sociale ont un taux de survie supérieur à celui des entreprises traditionnelles, respectivement 85 % et 43 % depuis plus de 10 ans. En fait, 39 % des entreprises d’économie sociale ont plus de 30 ans.
Avec ses réseaux de concertation et de financement, qu’épaulent le gouvernement, les fonds d’investissement de travailleurs et Desjardins, cet écosystème, comme on aime l’appeler, vaut au Québec d’être considéré comme un leader en Amérique du Nord. Et la multiplication des défis sociaux, environnementaux et économiques a ravivé l’intérêt pour ce modèle, non seulement chez les décideurs, mais aussi auprès des citoyens à la recherche d’un système économique différent.
L’expérience québécoise gagnerait d’ailleurs à être mieux connue, croit l’économiste François Delorme, qui enseigne à l’Université de Sherbrooke, car l’économie sociale « nous sort du piège » de ce qu’il appelle de la « tyrannie du PIB » et de cette opposition entre tenants de la croissance et ceux de la décroissance. « C’est un changement de paradigme important qui se situe entre ces deux pôles », dit-il.
Par Manon Cornellier : LeDevoir : 12-01-2021.
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