Le politicologue et communicateur Richard Boni Ouorou, consultant en développement international, a publié chez l’Harmattan (2020) un ouvrage court et incisif, Projet pour un Bénin démocratique. En conversation avec Pierre Beaudet, janvier 2021.
Niché en Afrique de l’Ouest à l’ombre du géant nigérian, le Bénin est un pays dont on parle peu, en partie parce qu’il n’est pas traversé des mêmes turbulences qui sévissent dans plusieurs pays de la région. Pour autant, le pays est confronté à de lourds problèmes structurels qui font en sorte que la moitié de la population est en dessous du seuil de la pauvreté, et où le poids de la dette dépasse de loin les capacités de rembourser du pays. La grande force du pays cependant, c’est sa population (plus de 12 millions d’habitants, composée de jeunes éveillés aux questions sociales et politiques et qui veulent que ça change !
Les médias parlent maintenant d’un regain économique en Afrique où certains pays connaissent des taux de croissance élevés. Qu’est-ce qui se passe au Bénin ? Est-ce que la situation économique s’améliore ?
Comme dans plusieurs pays, on observe au le Bénin une croissance qui se marginalise et précarise plus qu’elle ne crée de bons emplois. La richesse se privatise, les inégalités socio-économiques se creusent, la pauvreté s’étend. En 2019, selon la Banque mondiale, 46 % de la population béninoise était pauvre[1], avec un taux de chômage particulièrement élevé dans les campagnes. Qui plus est, la pollution chimique gangrène les terres arables, ce qui provoque des maladies et accélère l’exode des paysans vers les villes. La population béninoise reste sous-scolarisée, particulièrement en campagne (et chez les femmes). Entretemps, le ratio dette/PIB accusait une augmentation en 2018, atteignant 56,8 % en 2018.
Pourtant, les exportations béninoises semblent augmenter …
C’est le coton qui constitue le produit le plus important dans les statistiques des exportations (12 % du PIB, soit plus de 1,5 milliard $ US. Mais les retombées pour le Bénin sont minces, avec à peine 21 ou 22 millions $ US par année dans les coffres de l’État béninois. Le coton est exporté comme matière première, sans grande valeur ajoutée, donc à un prix très bas. D’autre part, les profits sont engrangés par quelques grandes firmes. Les inégalités entre les riches et les pauvres sont immenses, ce qui classe le Bénin au top 20 des pires pays dans ce domaine sur 161 pays. 5% de la population absorbe 52 % des revenus.
La concentration de la richesse a un grand impact au niveau des conditions de vie…
L’espérance de vie plafonne à 62 ans, parmi les taux les plus bas en Afrique. Ce qui reflète un bilan sanitaire peu enviable, avec la prédominance de maladies transmissibles qui représentent plus de 70 % de la morbidité générale. Ces dernières années, les maladies les plus courantes ont été le paludisme (40,6 %), les infections respiratoires aigües (12,9 %), les pathologies gastro-intestinales (6,6 %) et, depuis 2016, des épisodes de fièvre imputables au virus Lassa. Les investissements en santé publique tardent d’ailleurs toujours, spécialement en campagne.
Le Bénin se targue d’être une démocratie avec des élections et le respect des droits. Pour autant, avec le président sortant, Patrice Talon, on observe une certaine régression …
Le président multimillionnaire avait élu en promettant des grandes réformes. En réalité, il a fait reculer en cherchant notamment à contrôler la presse. Sanctions, menaces de fermeture, poursuites judiciaires et autres manœuvres font partie du quotidien des salles de rédaction. Il faut se souvenir qu’il s’était enrichi dans les années 1980 avec la privatisation des entreprises de coton grâce à ses connes connexions avec la classe politique. Selon le magazine Forbes, c’est le quinzième homme le plus riche de l’Afrique. Aujourd’hui, plusieurs pensent qu’il n’y a plus de pluralisme au Bénin, les élections ayant été détournées pour réserver la place à quelques clans. Lors des législatives de 2019 après d’imposantes mobilisations populaires contre la corruption, les formations de l’opposition se sont retirées de l’élection en affirmant être incapables de participer au jeu politique dans un climat d violence. Le démocratie béninoise se retrouve « faussée » par une dérive autoritaire et restrictive, n’est plus jugée pluraliste, tandis que l’ensemble des principaux rivaux politiques de Patrice Talon se retrouvent exclus du jeu politique par des condamnations judiciaires ou des exils forcés »[2]. Les élections qui s’en viennent en avril 2021 sont pensée par le régime pour protéger ce statu quo.
On parle d’une démocratie à deux vitesses…
Qu’est-ce qu’on constate : l’incapacité des institutions à surmonter les problématiques de corruption interne, le musellement de la presse, les infrastructures scolaires et de santé en nombre nettement insuffisant, les libertés civiles non assurées, la faible participation citoyenne aux processus démocratiques, la réduction du rôle économique de l’État, la très faible représentation du secteur agricole dans la prise des décisions politiques, l’absence de protection sociale, et quoi d’autres encore… Autant de réalités que la prose néolibérale des élites au pouvoir nie et masque dans un montage mental, des représentations et des formes symboliques dignes de la fabulation coloniale, pour reprendre les mots du philosophe et historien Achille Mbembe[3]. Si des réformes structurelles et une démocratisation accrue ne sont pas vues comme devant impérativement être entreprises d’ici les cinq prochaines années, ou bien ce sera parce que l’aliénation du peuple béninois aura atteint un cap, ou bien parce que l’État béninois, ayant épuisé toutes ses réserves de légitimité, sera devenu carrément autoritaire.
Des changements pourraient ouvrir une autre voie …
Cela doit reposer surtout sur une société civile capable d’articuler, de créer, de consolider différents organismes représentatifs pour faire valoir leurs arguments aux moments opportuns. La présence de syndicats, de fraternités, d’associations, d’unions et de tout autre regroupement populaire est indéniablement souhaitable ; leurs activités seraient profitables à toute la population. Dans le cas du Bénin, c’est dans le secteur rural qui pourrait être moteur d’un réseau articulé et vigoureux d’organismes de promotion spécifique et de défense des droits des travailleurs. Cela doit entre autres venir du nord du pays, délaissé par l’État et appauvri par des infrastructures déficientes. Est-ce une fatalité ? Certainement pas ? On pourrait lancer de grands investissements dans les services de protection sociale, de santé et d’éducation, et celles veillant à l’implémentation de politiques fiscales équitables. Les mesures du chantier proprement économique pourraient être facilités par la création, en ville comme en campagne, de coopératives de production, de petites et de moyennes entreprises de seconde et troisième transformations, et ce, tant dans des secteurs traditionnels que nouveaux.
[1] Le taux de pauvreté est fixé par la Banque mondiale à $1,9 dollar par jour.
[2] Au Bénin, quatre ans après l’élection de Patrice Talon, la dérive autoritaire », Le Monde, 15 mai 2020
[3] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, La Découverte, coll. « cahiers libres », 2010.
Par Pierre Beauet : RISE : 25-01-2021.
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