En annonçant le REM de l’Est récemment, le premier ministre du Québec, François Legault, a déclaré ceci : « Je n’avais pas aimé que le premier REM soit construit en Inde. On peut, tout en respectant les normes internationales, s’assurer qu’il y ait un maximum de contenu qui vienne du Québec. C’est le temps de développer de l’expertise. »
Depuis le début de la pandémie, le premier ministre a vanté à plusieurs reprises l’achat local. Quand il abordait cette question, cela se limitait généralement à la production de matériel médical dont le Québec risquait de manquer dans les premiers mois de la pandémie. Il aborde cette fois-ci la production locale d’une manière plus large.
Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) ne peut être plus d’accord avec ces propos. Depuis le début de la pandémie, ce retour vers l’économie locale s’est avéré triplement nécessaire. D’abord pour assurer l’approvisionnement de produits essentiels. Ensuite pour relancer une économie affaiblie par les confinements et qui a besoin d’un sérieux coup de pouce pour venir en aide à une grande partie de la population. La lutte contre le réchauffement climatique devient enfin une raison supplémentaire pour amorcer ce changement : raccourcir les circuits permet aussi d’importantes économies d’énergie.
Toutefois, cette volonté de soutenir l’économie locale se heurte aux obstacles que représente la signature d’accords de libre-échange. Au moment où les marchés publics s’imposent comme un levier de la relance post-pandémie, n’est-il pas regrettable de se rappeler que les 212 voitures du REM seront construites par Alstom en Inde ? Aujourd’hui, ce marché évalué à 280 millions de dollars aurait bien contribué à notre croissance économique, surtout en ces temps si particuliers. Il est temps de remettre en question nos accords de libre-échange et les effets contre-productifs qui y sont associés, notamment, la règle du plus bas soumissionnaire.
Si Alstom a bel et bien réussi à gagner le marché du REM, c’est parce que sa proposition défie toute concurrence, soit, 1,3 million de dollars par voiture. En comparaison, les nouvelles voitures Azur du métro de Montréal, construites au Québec par Bombardier et Alstom, coûtent un peu moins de 3 millions chacune. Si on applique ce montant au marché du REM, on en arrive à un prix d’environ 600 millions, soit le double de la proposition d’Alstom.Or, un tel raisonnement, fondé uniquement sur le prix, sous-estime les retombées économiques à moyen et à long terme, d’une part, et les préoccupations relatives à la justice sociale et à l’engagement environnemental, d’autre part.
Les États-Unis semblent avoir mieux compris que les avantages d’un meilleur contrôle des marchés publics avec les dispositions « Buy American » et « Buy America » qui forcent les villes et les communautés à se fournir d’abord dans les marchés locaux. Pourtant, comme le dit le chercheur Scott Sinclair dans un article publié dans le National Observer, ces mesures devraient nous inspirer plutôt que nous inquiéter. Pendant sa campagne électorale, Joe Biden a souligné qu’il est tout à fait raisonnable que, « lorsque nous dépensons l’argent du contribuable, nous devions acheter des produits américains et soutenir les emplois américains ».
Plutôt que de critiquer nos voisins, il faudrait arrêter de rendre une très grande partie de nos marchés publics si facilement accessibles aux entreprises étrangères. Nous aurions dû demander, comme nos voisins du sud, une exclusion nettement plus grande des appels d’offres dans les accords que nous avons signés. Il ne s’agirait pas d’une mesure étroite et de fermeture sur soi, ni d’une opposition au commerce international, mais bien d’une politique permettant un meilleur contrôle de notre économie, qui passe entre autres par la capacité d’orienter les achats gouvernementaux à notre avantage.
Les différents ordres de gouvernement peuvent cependant corriger l’erreur commise pendant les négociations en mettant fin à la règle du plus bas soumissionnaire dans les appels d’offres. Ils pourraient y ajouter des critères environnementaux, sociaux, concernant la durabilité et les conditions de travail. Sans être « discriminatoires » envers les entreprises étrangères, comme l’interdisent strictement les accords de libre-échange, ces appels d’offres pourraient être orientés plus positivement, de manière à assurer une meilleure qualité des produits et services, tout en stimulant de façon nettement plus significative l’économie locale.
Ainsi, nous n’aurions plus à « ne pas aimer » le fait que des voitures de train utilisées au Québec viennent d’un lieu aussi éloigné que l’Inde. Une bonne utilisation des marchés publics, tenant compte de l’environnement et des répercussions sur notre économie, est également une façon positive de transformer la société. Relancer l’économie, c’est aussi la repenser.
Par Hamid Benhmade : LeDevoir : 30-12-2020.
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