Par Marc Godbout : Radio Canada : 09-06-2021.
Plus tard cette semaine, le premier ministre canadien foulera le sol britannique en vue du sommet des pays les plus industrialisés de la planète.
Le G7 demeure l’une des rares tribunes internationales où le Canada peut encore exercer une certaine influence. L’OTAN et le sommet Canada-Union européenne se tiendront dans les jours suivants, à Bruxelles.
Ce premier déplacement à l’étranger de Justin Trudeau depuis la pandémie ramène une question qui se pose plus que jamais : que souhaite vraiment accomplir le Canada dans le monde?
Face aux changements profonds et rapides dans l’arène internationale, le Canada doit désormais naviguer dans un environnement de plus en plus hostile. Les institutions multilatérales sont sous pression. L’autoritarisme, le nationalisme et l’isolationnisme sont en hausse. L’ordre mondial libéral est mis à rude épreuve.
Près de six années se sont écoulées depuis le nous sommes de retour
de Justin Trudeau. Et à lui seul, l’incapacité de faire élire le Canada au Conseil de sécurité des Nations unies a exposé le décalage entre le discours du gouvernement libéral et la réalité.
Bien avant cette humiliation, des appels à une refonte stratégique de la politique étrangère du Canada étaient déjà lancés.
Si, depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau a publié des examens distincts des politiques de défense et de développement féministe
, il ne s’est toutefois pas attardé à définir une stratégie exhaustive et globale pour optimiser les effets et le rôle à l’étranger du Canada.
L’hôte du G7 vient pourtant de le faire. Le gouvernement de Boris Johnson a publié en mars un nouvel énoncé de 114 pages pour articuler le rôle que la Grande-Bretagne devrait jouer dans le monde. Il propose une feuille de route rigoureuse pour y parvenir d’ici 2030.
Peu de nations sont mieux placées pour relever les défis à venir, mais nous devons être prêts à changer notre approche et à nous adapter au nouveau monde qui émerge autour de nous.
Certes, le Brexit a forcé Londres à procéder à un tel exercice. Mais pour faire face à un ordre international plus fragmenté
, il était devenu presque indispensable de se lancer dans cette révision.
Le document stratégique de la Grande-Bretagne conclut que la Russie représente la menace la plus sérieuse
pour sa sécurité, tandis que la Chine, un État autoritaire, aux valeurs différentes des nôtres
, constitue la plus grande menace étatique pour la sécurité économique du Royaume-Uni.
Cette nouvelle politique étrangère britannique prévoit notamment une orientation indopacifique
. Le gouvernement veut stimuler le commerce, la sécurité et la diplomatie de la Grande-Bretagne dans une région qui connaît une croissance économique rapide. Le Royaume-Uni souhaite se tourner vers des pays tels que l’Inde, le Japon et l’Australie et établir de nouveaux partenariats à l’heure où la Grande-Bretagne recalibre ses relations avec le plus grand acteur d’Asie, à savoir la Chine.
Contrairement à la Grande-Bretagne, le Canada n’a pas vu de livre blanc sur sa politique étrangère depuis 2005. La dernière révision remonte à l’énoncé du gouvernement de Paul Martin baptisé Fierté et influence : notre rôle dans le monde. Fraîchement imprimé, ce document est vite tombé dans l’oubli après l’élection des conservateurs de Stephen Harper l’année suivante.
Après la guerre froide, le modèle canadien de politique étrangère n’a connu aucun changement important. Le Canada ne peut plus dépendre d’un modèle datant d’un demi-siècle. Cela continue de nuire à la capacité du pays à s’engager dans une réflexion stratégique qui doit tenir compte des nouvelles réalités.
Un tel exercice devient d’autant plus pertinent dans le contexte, par exemple, d’une relation qui s’est grandement détériorée entre Ottawa et Pékin. Comme les embellies diplomatiques avec la Chine ne sont probablement pas pour demain, les partisans d’une stratégie canadienne concertée face à Pékin considèrent qu’une révision de la politique étrangère serait enfin l’occasion de rectifier le tir.
S’ajoutent à cela les nombreuses voix qui s’élèvent pour qu’Ottawa porte davantage son attention sur l’Arctique. Le gouvernement Trudeau s’est maintes fois fait reprocher de négliger ce pivot géostratégique central pour le Canada alors que la Russie et les États-Unis ont des visées sur cette région.
Définir la place du Canada dans le monde obligerait aussi le gouvernement à déterminer si ses ressources diplomatiques sont suffisantes et ce qu’il est prêt à investir pour être à la hauteur de ses ambitions. Ces questions prennent d’autant plus leur importance que dans son premier budget en deux ans, le gouvernement Trudeau a plutôt ignoré la politique étrangère en misant d’abord et avant tout sur la reprise intérieure.
Justin Trudeau avait lancé au monde entier que le Canada était de retour
sur la scène internationale. Les résultats sont mitigés et le monde a surtout changé. Mais même si de nombreux arguments jouent en faveur d’une révision de la politique étrangère, pour l’instant, la réalité politique rend cette avenue peu probable.
Historiquement, ce type de réflexion stratégique mené sous des gouvernements minoritaires n’a jamais fait long feu. Le premier ministre Joe Clark a tenté l’expérience en 1979, mais l’exercice a été annulé une fois que son gouvernement fut renversé de façon inattendue quelques mois plus tard. Cette expérience avait précédé celle du livre blanc des libéraux minoritaires de Paul Martin.
Difficile d’imaginer une révision exhaustive de la politique étrangère du Canada avant qu’un des partis ne devienne majoritaire à la Chambre des communes. Cela sera-t-il une question de mois ou d’années?
Gouvernement minoritaire ou pas, en l’absence d’une stratégie globale et d’un livre blanc qui trace des objectifs à atteindre, les parlementaires et les Canadiens ne peuvent s’appuyer sur presque rien pour juger des actions du gouvernement sur la scène internationale.
Le Canada peut-il trouver sa place sur la scène mondiale? Si oui, comment?
Le temps passe et face aux profondes questions en jeu, le Canada a de moins en moins le luxe d’attendre.
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